Le quotidien national Le Monde publie une tribune signée de Bertrand Delanoë dans l’édition daté de mardi 10 juin 2008.

Pour un congrès de vérité

Agir, face à la crise profonde qu’affronte aujourd’hui notre pays. Car dans ce contexte social si lourd, peut-être même explosif, les socialistes ont plus que jamais le devoir de s’opposer, mais aussi de dessiner ensemble un nouveau modèle et de nouveaux repères pour la France. D’urgence, ils doivent retrouver le goût de l’échange, sans que les différences d’analyse suscitent en leur sein l’anathème ou les réflexes tactiques.

Ainsi, le débat que j’ai lancé dans mon livre sur les rapports entre socialisme et libéralisme politique traduit, au regard de certaines réactions, la difficulté que nous éprouvons encore à assumer ce que nous sommes. Il pose pourtant une question simple : celle de la réconciliation entre progrès collectifs, égalité des chances, solidarité et affirmation légitime de l’individu, reconnaissance de sa capacité à créer, à choisir, à innover.

Pourquoi faudrait-il abandonner la conquête de nouveaux espaces de liberté à une droite historiquement conservatrice et inégalitaire ? Le débat est lancé. Mais il nous faut le prolonger. Le PS a clairement dit qu’il inscrit désormais sa démarche dans l’économie de marché. Pour autant, renonce-t-il à ignorer les dérives du capitalisme financier ? Non, bien sûr. C’est donc un projet de société que nous devons élaborer, autour d’une ambition claire : identifier et mobiliser les moyens opérationnels du progrès dans la société contemporaine. Car par-delà les mots, la meilleure façon de servir nos valeurs est de placer enfin le souci du résultat au cœur de notre démarche.

Notre projet doit incarner une efficacité de gauche, par une action qui imprime sa marque dans la vie quotidienne des Français. Pour cela, créons les conditions d’une économie redevenue compétitive et restaurons le rôle de la puissance publique en tant que force de régulation et instrument de justice sociale.

La responsabilité politique ne se limite pas à avouer que « les caisses sont vides », il faut déterminer honnêtement les moyens de les remplir à nouveau. Des marges existent : remise en cause du paquet fiscal, qui représente à lui seul presque 40 % de notre déficit, application à l’Etat du principe de bonne gestion prévalant dans les collectivités locales et selon lequel l’emprunt ne doit servir qu’à financer les investissements, révision des exonérations consenties aux entreprises sans contrepartie salariale, nouvelle stratégie fiscale visant à restaurer la progressivité de l’impôt sur le revenu et la taxation des revenus du capital.

TAXER LES STOCK-OPTIONS

En choisissant une voie inverse, le gouvernement pénalise la France, dont l’endettement atteint 64 % du PIB ! Creuser les déficits est bien une stratégie de droite : elle sert à justifier une réduction des solidarités et à réduire la place de l’Etat. Nous voulons, au contraire, réhabiliter un Etat performant, au service d’une redistribution réelle. Or, qu’il s’agisse de l’assurance-maladie ou des retraites, observons que seuls les assurés sociaux et les cotisants sont aujourd’hui mis à contribution.

Par exemple, je propose que soient taxées les stock-options distribuées gratuitement dans l’entreprise, mais qui demeurent exonérées de charges : selon la Cour des comptes, le manque à gagner pour la Sécurité sociale est d’au moins 3 milliards d’euros. Même constat sur le pouvoir d’achat. La gauche devra restaurer un cercle vertueux entre création de richesses, croissance et redistribution.

Cela passe d’abord par le retour de l’investissement, avec pour objectif de hisser le budget de la recherche à 3 % de notre PIB. Là se trouve la clé de notre compétitivité sur la scène mondiale et, donc, l’avenir de nos emplois. Mais le défi nécessite aussi de refonder notre démocratie sociale, notamment par la représentation syndicale au sein des PME et des conseils d’administration des grandes entreprises. Oui, nous devrons inventer de nouveaux droits pour les salariés. Dans notre société où les services prédominent, les modalités de travail se sont diversifiées.

La vraie ligne de fracture porte désormais sur les conditions de travail, au moins autant que sur sa durée. La pénibilité, la santé des individus, la sécurité des parcours professionnels, l’accès à la formation tout au long de la vie, désignent des questions d’autant plus décisives que les inégalités s’accroissent : à 35 ans, un cadre peut espérer vivre encore quarante-six ans, un ouvrier seulement trente-neuf…

Tous ces défis, et la liste n’est pas exhaustive, nous condamnent à la clarté. Telle est la condition d’une crédibilité retrouvée auprès des Français. C’est donc l’enjeu de notre prochain congrès. « Ne pas reproduire Rennes ! », nous dit-on. Raison de plus pour se concentrer sur les idées. Mais ne pas reproduire davantage l’issue stérilisante du congrès du Mans ni la schizophrénie de celui de Liévin, quand l’officiel « coup de barre à gauche » s’accompagnait d’un appel à la candidature de Jacques Delors.

La logique de « l’empêchement » ne fonde pas un projet, pas plus que celle du relativisme idéologique. Reims devra être un congrès qui choisit sur le fond, qui légitime une équipe de direction et qui, au bout de ce processus, permet aux adhérents de désigner sereinement leur principal animateur.

C’est donc tout notre mode de fonctionnement qui doit être transformé : des instances délibératives régénérées, un travail intellectuel intensifié, des connexions plus fécondes avec notre vaste réseau d’élus locaux, des passerelles renforcées avec le monde syndical et associatif. C’est à ce prix que notre famille pourra redevenir le pivot d’une gauche capable de rassembler une majorité d’électeurs lors des échéances nationales.

RÉFORMISME ASSUMÉ

Nous devrons d’ailleurs trancher la question des alliances. En l’état actuel des choses, le MoDem n’est pas une force de centre gauche, et le dire ne vise pas à mettre dans l’embarras ceux de nos camarades qui ont conclu un accord local avec ce parti. Car au niveau national, ce dernier reste les yeux rivés sur 2012 et il tente de réussir en exploitant nos propres faiblesses. C’est d’ailleurs un point commun avec les amis d’Olivier Besancenot. L’émergence éventuelle d’une force radicale confirme une inquiétude et une souffrance sociale auxquelles nous devrons répondre par des actes et un réformisme assumé, là où la LCR reste dans la contestation.

Revendiquons donc ce que nous sommes, sans complexe, avec la volonté de créer un rapport de force politique et d’incarner, le moment venu, une gauche qui crée du progrès social, par contraste avec ceux qui se contentent de le théoriser. Ce que nous sommes, c’est aussi une famille internationaliste. Le mauvais souvenir de notre division après que les militants eurent tranché notre débat interne sur le traité constitutionnel ne doit pas rendre éternellement taboue une réflexion sur l’Europe.

Profondément Européens, nous devrons donc approfondir nos rapports avec nos amis sociaux-démocrates, et concevoir ensemble des contre-pouvoirs au bénéfice des salariés, applicables à l’échelle internationale. A l’heure d’une financiarisation débridée de l’économie mondiale, le besoin de transparence, de contrôle des mouvements de capitaux spéculatifs et d’un meilleur encadrement des activités bancaires légitime cette exigence d’Europe.

La crise alimentaire mondiale illustre de façon tragique la nécessité impérieuse de replacer les peuples au cœur de notre modèle de développement et de refuser, par conséquent, la dérive délirante à laquelle aboutit la recherche du profit maximal à court terme. La future présidence française de l’Union européenne devra inscrire ce défi en tête de ses travaux, au même titre d’ailleurs que l’avenir de l’Europe sociale qui, à ce jour, n’y figure pas en tant que telle.

Ce que nous devons être, enfin, c’est un parti clairement écologiste : l’avenir de la planète implique autre chose qu’un chapitre parmi d’autres dans notre projet, là où le développement durable doit s’imposer comme le fil rouge de toutes nos politiques publiques, des transports au logement en passant par les transferts de technologie vers les nations du Sud. L’importance de l’enjeu devrait conduire à réviser le mode même d’évaluation de notre PIB en y intégrant désormais non seulement la production économique, mais aussi son impact social et environnemental.

D’évidence, nous n’aurons pas trop de trois ans pour mener à bien tous ces chantiers et tenter de convaincre nos concitoyens. Ne nous trompons pas d’enjeu et ne sous-estimons pas nos propres responsabilités. Ce que je souhaite pour le PS et donc pour la France, c’est un congrès de vérité. Cela implique de tenir le même langage aux militants socialistes et aux électeurs. Oui, nous devons changer…

Bertrand Delanoë, maire de Paris (PS)
Le Monde